Mes activités de recherche se concentrent sur l’évolution des processus de subjectivation, de l’expérience de l’intersubjectivité et des espaces politiques dans les sociétés hypermodernes. Je m’intéresse plus particulièrement aux implications éthiques et socio-philosophiques des médiations numériques (TIC, réseaux sociaux, technologies de contrôle et de surveillance, objets connectés, etc.).
Trois principaux axes de recherche se dessinent :
Tout d’abord, une part importante de mon activité de recherche consiste à souligner qu’une analyse critique des sociétés à l’ère du numérique se doit d’intégrer l’idée que l’intensification de la communication induite par des technologies qui favorisent l’instantanéité ne vient en aucune façon garantir une reconnaissance des subjectivités qui s’expriment par ces médiations. Il convient en ce sens de questionner la dématérialisation comme un défi autant éthique qu’ontologique, en se penchant sur les caractéristiques de l’ « agir télé-communicationnel ». A cet égard, si les médiations numériques se révèlent plutôt déterminantes dans la redéfinition de l’espace public et du vivre-ensemble, en créant une démultiplication des moyens d’expression et d’information (c’est entre autres le sujet d’un ouvrage que j’ai co-dirigé avec Jan Spurk et Brigitte Frelat-Kahn, Presses des Mines, 2015 : Espace public et reconstruction du politique), la réalité technologique dans le monde des organisations, en revanche, intervient comme un fait brut dont il est difficile d’ignorer les conséquences sur les conditions de travail et la qualité des relations intersubjectives (si l’on tient compte de valeurs telles que la responsabilité, la confiance, le respect d’autrui, de la vie privée ou de l’autonomie des personnes). Sur ces questions, je suis impliqué dans la co-animation de la chaire de recherche « Valeurs et politiques des informations personnelles » à l’Institut Mines-Télécom, en partenariat avec la Commission Nationale Informatique et Libertés.
D’autre part, j’accorde une attention particulière aux contextes socioculturels qui accompagnent le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, partant de l’idée qu’une évaluation éthique de celles-ci nécessite d’interroger les représentations collectives et sociales qui se construisent autour d’elles. Le phénomène technologique est lié à des conditions d’émergence qui appellent une attitude de compréhension spécifique en ouvrant la voie d’une tâche herméneutique renouvelée. Car, si l’autonomisation de la technique n’est pas dans la nature de celle-ci, une société peut en revanche créer les conditions de son « autonomisation » (C. Castoriadis). L’expansion des agents dits « autonomes » dans notre quotidien apparaît à cet égard très révélatrice (c’est l’un des aspects du projet ANR Ethicaa dans lequel je suis impliqué depuis janvier 2014). Il importe pour ces raisons de se tenir attentif aux contextes discursifs qui structurent une grande part de nos sociétés hyper-modernes. L’expansion des technologies de surveillance et de contrôle dans les sociétés démocratiques et mondialisées n’étant pas déliée de certains « grands récits ». J’ai publié sur cette problématique deux ouvrages : Technologies de contrôle dans la mondialisation : enjeux éthiques, politiques et esthétiques (Editions Kimé, 2009) avec Gabriel Rockhill, et plus récemment : Politiques sécuritaires et surveillance numérique (CNRS Editions, 2014).
Enfin, je m’attache à mettre en évidence le fait que l’expansion des médiations numériques qui interviennent dans le développement de nouvelles pratiques de soi (au travers des réseaux sociaux et de nouvelles formes de sociabilité en ligne) soulève des questions relativement à l’économie des affects qui se généralise dans les sociétés modernes « liquides » (Z. Bauman) et qui entoure de telles pratiques. M’intéressant aux usages des réseaux sociaux en ligne (dans le cadre notamment du programme de recherche ANR Anamia), ce qui me conduit à souligner l’hétérogénéité des pratiques sociales qui se développent à travers eux, j’observe néanmoins une confusion entre le désir (nécessaire) de reconnaissance – qui produit un renforcement du sentiment d’exister – et le besoin (contingent) de communiquer à tout moment (souvent de manière très convulsive) avec une multitude d’interlocuteurs. Cette recherche du regard d’autrui dans tous les moments de l’existence néglige le fait que la construction de soi ainsi que notre condition d’être social nécessitent d’assumer des moments de « solitude créatrice ». Une esthétique de la coexistence ainsi qu’une écologie informationnelle sont ici directement en jeu. Ces thèmes sont au cœur de deux autres ouvrages : Conflits des interprétations dans la société de l’information. Ethique et politique de l’environnement, en collaboration avec C. Gossart, B. Reber (Paris – Londres, Hermès Editions, 2012) ; Ecologies sociales. Le souci du commun (Editions Parangon, 2014), en collaboration avec Bernard Reber.